Les regards sont aujourd’hui rivés sur l’immeuble Bougara (ministère de l’Industrie) où l’expérience algérienne dans le domaine du montage automobile est soumise à un examen de la part du nouveau ministre et de son équipe.
Un audit détaillé qui permettra sans doute de faire une évaluation de cette activité, dont les dérives gravissimes ont été constatées et condamnées par la justice et que la vox populi a qualifiée d’arnaque du siècle.
Dans ses premières déclarations officielles, le président de la République a été catégorique en prônant un traitement en urgence de ce problème, mais sur « la base de nouvelles règles », tout en dénonçant ces usines de « gonflage de pneus » aux potentialités d’emploi insignifiantes, et en leur déniant la pompeuse dénomination d’industrie automobile. Ce qui laisserait entendre, en attendant les premières décisions, une révision en profondeur de l’organisation d’un secteur qui a occupé le devant de la scène nationale au cours de ces dernières années et fait couler beaucoup d’encre.
L’automobile est devenue une préoccupation de premier plan du citoyen, en raison de la disparité, du reste recherchée, entre une offre drastiquement réduite et une demande en constante évolution.
L’aventurisme du cabinet noir
On est déjà loin de ce cabinet noir dirigé par Bouchouareb, qui s’était autosaisi du dossier automobile et imposé ses choix industriels sans consultations préalables, ni des experts, ni des économistes et encore moins des professionnels du secteur. Un aventurisme qui aura, en définitive, causé de très lourds préjudices au Trésor public. En trois années (2017-2018-2019) de financement de cette prétendue industrie automobile, l’Etat a déboursé près de 10 milliards de dollars pour les importations de kits d’assemblage DKD, et accordé approximativement 4 autres milliards de dollars en crédits à une poignée d’hommes d’affaires triés sur le volet, pour la réalisation de projets automobiles.
La production globale des 6 usines en activité (Renault, Tahkout, Sovac Production, Hyundai camions et bus GMI, KIA Gloviz et Mazouz) n’aura pas, au cours de cette période, dépassé les 380 000 unités tous modèles et segments confondus.
11 000 milliards de préjudice
A cela s’ajoute un manque à gagner pour le Trésor public de plus de 2 milliards de dollars en droits de douane et taxes, sachant que ces opérateurs assembleurs ont bénéficié d’une exonération fiscale et parafiscale de 5 années. Cette faveur accordée par les pouvoirs publics de l’époque ne s’est hélas pas répercutée sur les prix de vente des véhicules qui ont connu une augmentation considérable et injustifiée.
Plus globalement, il y a lieu de rappeler le chiffre de 11 000 milliards de centimes évoqué par le tribunal de Sidi-M’hamed comme pertes pour l’Etat dans cette affaire. A contrario, durant les exercices 2014, 2015 et 2016, et pour une facture globale similaire, on a assisté à l’importation de plus de 1 million de véhicules de différentes marques et de différents gabarits par des concessionnaires installés, pour certains, depuis plus de vingt ans, avec en sus paiement des différentes taxes et une prise en charge correcte des attentes des clients dans le domaine du service après-vente et la disponibilité de la pièce de rechange.
Au volet emploi, les promesses miroitées par les concepteurs de cette stratégie n’auront pas été, non plus, tenues, puisque on estime entre 6 000 et 10 000 le nombre total de postes de travail créés par cette activité, alors que celui des anciens concessionnaires dépassait largement les 70 000 entre emplois directs et indirects et qui ont été supprimés dans un fracas social et humanitaire passé sous silence par les anciens timoniers de la barque Algérie.
Multiplication des surcoûts
Cette lecture comparative de ces deux expériences vécues par le secteur automobile en Algérie nous permet également de relever la grande disparité en matière de coût. Des écarts importants entre le véhicule importé en l’état et celui tel qu’assemblé par les opérateurs locaux. Ainsi, aux prix des véhicules à leur sortie d’usine, viennent se greffer des coûts supplémentaires peu orthodoxes pour les kits DKD. Le véhicule qui quitte les chaînes de montage complètement assemblé doit d’abord transiter par un atelier de démontage, créé souvent en association entre l’opérateur algérien et un partenaire étranger, et dont les coûts varient selon le modèle (entre 800 et 2 500 dollars). Cette étape permet de délester le véhicule de quelques organes avant de le charger dans des conteneurs à des prix de transport au double de ceux des véhicules importés en l’état (650 dollars pour le véhicule en l’état et 1 250 $ pour le kit DKD).
Leur arrivée sur les sites industriels en Algérie, et après un passage par les ponts élévateurs, des coûts supplémentaires et des marges surréalistes viennent alourdir encore davantage la facture avec ,au final, des prix exponentiels pour le client.
Cela étant, de ce simple exercice d’analogie entre le processus d’importation des kits d’assemblage et celui des véhicules en l’état, et sans aller dans le détail des opérations financières y afférentes, dont certaines ont été qualifiées d’irrégulières et illégales par la justice, il apparaît clairement que le retour à des importations directes reste, en l’état actuel des choses, l’option la plus raisonnable et la plus rentable, aussi bien pour le pays que pour le client algérien.
Et même s’il est établi que l’ambition de voir émerger en Algérie une véritable industrie mécanique demeure légitime et amplement justifiée, celle-ci doit, néanmoins et impérativement, faire l’objet de consultations élargies aux compétences et aux experts dans le domaine, tout en s’inspirant des expériences régionales et internationales similaires. Le président de la République n’a pas hésité à parler « d’assises pour l’industrie nationale ».
La sous-traitance, locomotive de l’industrie automobile
Dans cette optique, l’expertise du groupe Renault et son usine de Oued Tlélat peut constituer une référence positive. Son projet algérien était inscrit, dès le départ, dans une vision intégrée avec de véritables chaînes d’assemblage sur lesquelles le véhicule est reconstitué de bout en bout, à partir d’une caisse arrivant en amont du process entièrement nue. Ce projet devait être complété à partir de la troisième année par un département de soudure par robotisation, et d’un atelier de peinture mais qui n’a toujours pas reçu le quitus des autorités.
Le volet intégration locale, condition sine qua non à la réussite de cette stratégie, était envisagé à travers le développement d’un environnement de sous-traitance, certes encore embryonnaire, mais qui assure déjà la fourniture de l’usine de Renault Algérie Production en plusieurs composants (sièges, joints d’étanchéité et pièces en plastique). Mieux encore, un début d’exportation de certains de ces éléments a été enregistré tout récemment au profit d’autres usines du groupe français dans le monde.
C’est dire que cette aventure industrielle hasardeuse et aucunement préparée doit être à présent refondée sereinement, sans précipitation et dans le cadre d’une stratégie aux contours clairement définis. La priorité gagnerait plutôt à être accordée au développement d’un tissu de sous-traitance performant à même de défricher le terrain pour une véritable industrie automobile algérienne. L’erreur n’est plus permise. Le pays a perdu beaucoup de temps et beaucoup d’argent.
B. Bellil
Source Le Soir d’Algérie