Les dernières déclarations du ministre de l’Industrie et des mines devant les députés quant à l’impossibilité pour le pays de lancer une filière automobile avant dix ou vingt ans, sonnent désormais comme un cinglant désaveu à la démarche hasardeuse de Abdesselem Bouchouareb qui avait, rappelons-le, profondément chamboulé le secteur au lendemain de la crise financière de 2014.
L’arrêt des importations et l’instauration des quotas étaient, alors, un prélude à une vaste opération de restructuration du marché suivie d’une redistribution des marques en présence d’un quarteron de privilégiés parmi le gotha des hommes d’affaires du sérail. Une véritable OPA décidée d’une manière inique sur des labels automobiles représentés par des partenaires locaux, pour certains, durant plus de vingt années.
Inutile de rappeler que cette recomposition s’était soldée par des fermetures d’entreprises et le licenciement de plus de 20 000 employés liés directement ou indirectement à l’activité automobile.
Des usines aux lendemains incertains
Sous des slogans pompeux d’industrialisation et de développement d’une filière mécanique locale pour pallier à terme les importations, le ministre de l’Industrie de l’époque avait engagé un plan de création d’usines de montage de véhicules au bénéfice exclusif de certains et au détriment des professionnels attitrés du secteur.
Crédits sans limites (en dinars et en devises fortes) et biens d’entités économiques publiques ont été généreusement mis à la disposition de ces constructeurs automobiles de la dernière heure.
Cette campagne était encadrée par des textes réglementaires établis sur mesure et qui tentaient d’imposer un taux d’intégration minimum de 40% au bout du cinquième exercice. Le premier cahier des charges élaboré, à l’évidence, dans la précipitation a très vite montré ses limites et remplacé par un autre document mieux étudié et plus adapté à la nouvelle situation.
La colère d’un ministre
Une première vague de dénonciations de cette industrialisation présumée est venue des réseaux sociaux avec la publication de photos de véhicules censés avoir été assemblés localement, importés en l’état et auxquels on fixait juste les roues.
Avec le départ précipité de Bouchouareb, dans la foulée du scandale des Panama Papers et son remplacement par Mahjoub Bedda, une nouvelle approche se dessine. Celui-ci ne tarda pas à remettre en cause brutalement la démarche de son prédécesseur et de dénoncer publiquement «des importations déguisées».
Pour lui, la priorité c’était d’abord de développer la sous-traitance comme préalable à toute industrie de montage automobile. L’intermède Bedda ne dura pas longtemps.
Retour au pragmatism
Son successeur, Youcef Yousfi, opta plutôt pour une démarche pragmatique voire même pédagogique afin de remettre de l’ordre dans le secteur et tenter de rétablir la confiance avec les nombreux investisseurs qui se sentaient lésés dans leurs droits.
Des dizaines de dossiers étaient, en effet, placés sous le boisseau par l’ancien ministre Bouchouareb et dont beaucoup ne seront jamais retrouvés après son départ. Il sera, d’ailleurs, signifié à leurs propriétaires de procéder à leur renouvellement.
Ayant pris le temps d’étudier longuement le dossier, Youcef Yousfi semble maintenant s’orienter, lui aussi et d’une manière encore plus franche, vers la nécessité d’encourager le développement de la sous-traitance qui, elle seule, pourra offrir les conditions objectives pour le lancement d’une véritable industrie de montage de véhicules.
A travers ses multiples déclarations sur le sujet, on relève même une évolution dans le niveau d’appréciation des perspectives de ce secteur. Tout récemment encore, il évaluait à 5 années le délai de création de cette filière automobile, devant les députés, il révisa ce délai en le projetant à au moins 10 ou 20 ans.
Les compteurs à zéro
Au-delà de cette nouvelle donne, du reste, sensée et mesurée, c’est toute la démarche initiée à partir de 2014 avec le début de l’activité assemblage qui voit aujourd’hui ses compteurs remis à zéro. Il serait, effectivement, aléatoire de continuer à exiger un taux d’intégration important en l’absence d’un tissu local de sous-traitants performants et compétitifs en mesure de proposer des pièces et composants pouvant être homologués par des constructeurs exigeants.
A cela s’ajoute la décision du gouvernement de mettre fin aux facilitations accordées aux investisseurs à travers l’exonération des taxes et de droits de douane durant 5 années. Ce qui est en train de créer un climat d’incertitude et d’incompréhension chez les candidats à l’investissement dans ce secteur. Quand bien même ces avantages fiscaux et para-fiscaux n’auront pas eu, en définitive, les effets escomptés sur les prix de vente.
L’envolée attendue des prix
Il en découle, aujourd’hui, chez les assembleurs de véhicules actuellement installés un recours massif aux «importations déguisées» aussi bien dans le secteur des véhicules de tourisme que celui de l’utilitaire des camions et des bus. Le montant de la facture d’importation des kits est en croissance continue.
Et en l’absence d’une transparence, soulignée justement par le ministre de l’Industrie, la multiplication des modèles et des finitions haut de gamme demeure le signe d’une dérive entamée il y a trois années et dont les conséquences sont assumées essentiellement par le citoyen, rareté des produits et cherté des prix.
Et comme pour rassurer ce dernier, le ministre assène que ces prix ne baisseront pas de sitôt. Sauf si l’Etat décide enfin d’exercer son droit de contrôle des prix sortie usine constructeur qui renseignent amplement sur les marges exponentielles réalisées par les producteurs locaux