La recomposition du marché de l’automobile en Algérie, décidée d’une manière unilatérale par les services de l’ancien ministre de l’Industrie, a provoqué une lame de fond ayant entraîné, dans ses flots impétueux, le naufrage de nombre de concessionnaires cumulant plus de deux décennies d’activité.
Des noms comme Hyundai Motors Algérie (Cevital), Elsecom, Diamal, Toyota Algérie, GMS, Saïda et tant d’autres risquent, à terme, de disparaître définitivement du paysage automobile national. Le plus révélateur d’entre eux restera, sans aucun doute, le groupe Elsecom.
Un conglomérat de plusieurs entreprises fondé il y a plus de 20 années par la famille Achaïbou, ayant fait le bonheur de milliers de clients algériens et qui est contraint aujourd’hui de broyer son pain noir à défaut d’agréments pour ses projets industriels et de perspectives heureuses pour ses dizaines d’employés.
Orienter les projecteurs sur le doyen et dépositaire de la légitimité historique dans le domaine de l’automobile dans notre pays, c’est souligner aussi le caractère atypique du groupe qui s’est vu, en deux temps trois mouvements, et par le seul fait du prince, dépossédé de l’ensemble des sept marques automobiles qu’il représentait depuis plusieurs années.
On en citera KIA, Ford, Ford Camions, Suzuki, Daewoo, Isuzu bus, Isuzu camions. Une situation kafkaïenne péniblement endurée par le personnel et le patron du groupe face à un «silence assourdissant» manifesté par les autorités compétentes en charge des dossiers d’investissement dans le secteur.
Et pour cause, à un moment où les dossiers d’agréments ou de renouvellement déposés par le groupe Elsecom dès janvier 2016 sont gardés sous le boisseau, de nouveaux opérateurs investissent le créneau et parviennent à décrocher le fameux sésame avec une facilité déconcertante en violation même des textes et des règlements établis par ces mêmes responsables.
D’une manière plus générale, on assiste à une véritable OPA sur le marché automobile, une reprise en main, en bonne et due forme, de tous ses segments par une caste de néophytes dans le domaine et de courtisans proches des cercles des décideurs. S’ensuit alors une redistribution des marques en présence, au gré des affinités et du degré d’allégeance.
Sous la pression ou avec l’interdiction du principe de l’exclusivité, 15 marques et des plus influentes sur le marché changent de main. Et même si les représentants historiques tentent de se conformer aux nouveaux textes régissant le secteur qui ont institué notamment l’obligation pour les concessionnaires de présenter un projet industriel comme préalable à la pérennisation de leur activité, ils se rendront très vite à l’évidence que les jeux sont faits et que, quelque part dans la pénombre de cabinets obscurs, leurs sorts ont été bel et bien scellés.
Le temps d’une parenthèse
Après le départ de Bouchouareb et l’arrivée tonitruante de Mahjoub Bedda comme ministre de l’Industrie, beaucoup d’espoirs ont été placés sur sa démarche de correction «des erreurs» de son prédécesseur.
Le groupe Elsecom a été saisi au même titre que beaucoup d’autres opérateurs aux fins de compléter, voire représenter de nouveaux dossiers pour les agréments aussi bien pour la poursuite de l’activité des différentes concessions, que pour les projets d’assemblage de camions et bus et la création d’une joint-venture avec le japonais Hitoshu pour le montage des camions Isuzu. Mais c’était compter sans l’obstination des puissants lobbies et leur détermination à s’emparer, coûte que coûte, de ce secteur.
Au bout de quelques semaines, la parenthèse se referme et le cours de la prédation et de la rapine reprend son lit. Ouyahia conforte, à une exception près, le choix de son ex-protégé Bouchouareb. Les historiques sont définitivement écartés.
Il ne restera au doyen, Abderrahmane Achaïbou, président du conseil d’administration de la SPA Elsecom, que l’encre de sa plume pour dire son désespoir et sa profonde déception face à cette «faillite programmée» de son groupe, au président de la République et au Premier ministre.
Un seul responsable de cette grave dérive institutionnelle est désigné sans hésitation par les damnés de l’automobile, en l’occurrence l’ancien ministre Abdesselam Bouchouareb. Son attitude, vraisemblablement tranchée, sur le cas notamment du groupe Elsecom laisserait transparaître des relents de règlement de comptes plus qu’une stricte application de la réglementation en vigueur.
Pour preuve, la multitude de courriers et de dossiers transmis à qui de droit sont restés sans aucune suite ou notifications sur les éventuels rejets. Mieux encore, les cadres chargés de l’étude et la révision de ces dossiers auraient achevé leur mission et déposé les dossiers au niveau du cabinet du ministre qui déciderait seul, en définitive, du sort réservé à chaque demande.
Et au-delà de ce grief, à Elsecom on estime que le ministre n’aurait peut-être pas «apprécié les critiques et propositions constructives qui lui ont été adressées au titre de notre contribution à l’enrichissement du projet de cahier des charges qui a été soumis aux membres de l’AC2A».
Autres temps, autres mœurs
En tout état de cause, il est maintenant clairement établi que des ensembles comme Elsecom ont participé grandement depuis les années 1990 au développement de cette activité en Algérie et aussi à l’émergence d’une culture automobile chez les clients, par la mise en application des standards internationaux dans le domaine du service après-vente, la disponibilité de la pièce de rechange d’origine et la vulgarisation de la garantie.
Ils ont aussi et surtout largement favorisé la démocratisation de l’acte d’acquisition d’un véhicule neuf après des années de privation et de frustration. L’inénarrable Maruti et son prix exceptionnellement compétitif (350 000 DA TTC) aura permis à des milliers d’Algériens d’accéder à ce statut privilégié et marqué une génération entière. Elle aura aussi surpris par sa praticité, la fiabilité de sa mécanique et sa résistance à des conditions d’utilisation souvent extrêmes. Aujourd’hui, il est aisé de constater qu’on est à dix mille lieues du souci de bonne gouvernance, de la rationalité dans les dépenses et la préservation des réserves de change du pays, radotées à longueur de discours par nos dirigeants.
Les prévisions de dépenses pour le montage automobile ne tarderont pas à atteindre, à terme, les niveaux de 2015, soit près de 5 milliards de dollars mais pour des quantités inférieures, un choix réduit et imposé aux clients et des prix qui continueront à flirter avec le firmament…
B. B. Le Soir d’Algérie