Après une embellie qui n’aura duré que le temps d’un printemps, la rupture dans la disponibilité de véhicules neufs proposés par les concessionnaires officiels est de nouveau de rigueur.
La dizaine de représentants de marques qui ont réussi à décrocher le fameux sésame autorisant l’exercice de cette activité, et qui ont pu importer des quantités limitées de véhicules, ont, naturellement et rapidement, écoulé leurs stocks. Ils se retrouvent depuis plusieurs mois en situation de «chômage technique», en raison de la baisse de leurs activités et certains étaient, encore une fois, contraints de procéder à une compression des effectifs.
D’autant que les perspectives sont loin d’être prometteuses, si l’on se réfère aux toutes dernières déclarations du ministre de l’Industrie et de la Production pharmaceutique, qui affirmait que «le véhicule est une nécessité, mais pas une priorité», ou encore, «celui qui veut une voiture n’a qu’à l’importer lui-même».
Ce sont autant d’indicateurs qui permettent d’avoir une lisibilité approximative de la situation de ce secteur au cours des semaines et des mois à venir. La reprise des importations par les concessionnaires ne semble, désormais, pas à l’ordre du jour actuel des autorités publiques. Cela devrait nous amener, probablement, jusqu’à la rentrée, septembre ou octobre, où l’on aura, ainsi, bouclé une année pleine, depuis le déblocage du premier programme d’importation en octobre 2023, après près de 6 années de fermeture totale du marché automobile officiel.
Importer directement, mission impossible
Si le véhicule peut être considéré comme non prioritaire, comparativement aux autres produits de première nécessité ou les intrants dans le processus de relance de l’économie nationale, il demeure vrai, en revanche, que le véhicule utilitaire, le camion, le bus, le tracteur, sont tout aussi importants et déterminants pour le développement économique du pays.
Un grand nombre d’entreprises publiques et privées souffrent depuis plusieurs années de cette carence et ne cessent d’enregistrer un manque à gagner dans leur plan d’activité et se retrouvent dans l’incapacité de pouvoir renouveler leurs parcs respectifs.
Il en est de même pour la pièce de rechange dont les importations sont restées gelées de janvier jusqu’au mois de mai 2024, et relancées tout récemment pour certains opérateurs, mais avec de sérieuses restrictions. Une situation qui a fini par engendrer un déséquilibre entre l’offre et la demande et une forte tension sur certaines pièces d’usure nécessaires à l’entretien régulier des véhicules.
Quant à l’éventualité de recourir aux importations directes par le citoyen lambda, cela relève, à l’évidence, de la mission impossible, compte tenu du taux de change qui frôle les 250, de la hausse des prix de l’occasion dans plusieurs pays, des coûts du fret, du voyage, du visa et tutti quanti…
Le programme 2023 non consommé
Pour l’exercice écoulé (2023), le ministre de l’industrie et de la Production pharmaceutique avait précisé au début du mois de mai dernier, que l’Algérie avait réservé un montant de 1,8 milliard de dollars pour l’importation de 180 000 véhicules, et que «jusqu’au 18 avril (2024), 159 037 unités ont été importées dont 137 982 véhicules touristiques et utilitaires légers». Il est à souligner que ce volume global a été réparti entre les 24 concessionnaires ayant décroché en premier, l’agrément définitif.
La part du lion du programme est revenue à la marque Fiat qui a réussi à importer 97 000 véhicules, suivie, théoriquement, de Geely avec 39 000 véhicules, Chery 10 090, Opel 4 000, JAC 7 000, Sokon 7 000, Citroën 5 000 ainsi que d’autres volumes de moindre importance pour des marques d’engins des travaux publics, de tracteurs et autres motocycles.
Ceci étant, le bilan général de ce premier programme d’importation de voitures reste globalement positif, dès lors qu’il a permis de réduire, un tant soit peu, la pression cumulée des années durant sur le marché automobile en Algérie. C’était l’opportunité pour des milliers de citoyens d’acquérir, enfin, un véhicule neuf et échapper, temporairement, au diktat des revendeurs de l’occasion.
Reconstruire l’écosystème
Cette relance de l’activité des concessionnaires aura également permis de reconstruire laborieusement tout l’écosystème lié au long et fastidieux processus d’importation, dont les règles et les repères organisationnels ont été profondément affectés par la longue période d’hibernation. De l’acheminement des voitures depuis le site de production, jusqu’à leur livraison au client, en passant par les homologations, le dédouanement, la mise en place des réseaux d’agents agréés, l’accueil des clients, la commercialisation, le service après-vente, etc.
Le service après-vente négligé
Et près de 10 mois après le début de leurs activités, certains concessionnaires peinent toujours à se conformer aux conditions imposées par le cahier des charges, notamment au volet réseau de distribution et surtout l’après-vente. Des clients dont les véhicules ont subi des sinistres sont dans l’attente, depuis 3 mois, d’une prise en charge efficace de la part du concessionnaire concerné, pour les réparations et la disponibilité de la pièce de rechange.
Concernant les gammes de véhicules importés par les opérateurs pour cette livrée 2023, l’on relève que le choix des modèles ne semble pas, en définitive, correspondre à la nature du marché national et aux attentes historiques de sa clientèle. Il est, en effet, notoirement établi que tout au long des trois dernières décennies, plus de 50% des ventes concernaient les berlines moyennes et les citadines compactes. Il reste évident que la raison de cette tendance récurrente est d’ordre financier, ce qui justifie, du reste, pleinement le qualificatif de «marché de prix».
Modèles haut de gamme et prix inaccessibles
Actuellement, et en attendant l’arrivée d’autres constructeurs, on constate que le client algérien, qui a le choix entre deux marques européennes et une flopée de marques chinoises, se voit, a contrario, proposer une large offre de crossovers et de SUV haut de gamme, dont les prix frisent l’inaccessible et l’indécence. Les tarifs proposés par certains, à l’image de Chery et Geely, pour deux modèles à moins de 2 000 000 DA, ne seraient finalement qu’exceptionnels et juste réservés à la phase de lancement. Tout porte à croire que ces prix ne seraient plus reconduits.
Ces mêmes représentants de marques chinoises avaient lancé, il y a quelque temps (2021) dans le cadre d’un groupement anonyme, un appel au président de la République pour la relance de l’activité automobile en promettant que les prix de leurs véhicules débuteraient à partir de 990 000 DA (moins de 1 million de dinars). Aujourd’hui qu’ils sont en activité, leurs tarifs varient entre 3 000 000 et 19 000 000 millions de dinars. On est loin, très loin, de cette promesse surréaliste.
Seule Fiat a su se distinguer en tentant de se rapprocher des attentes du marché local avec deux modèles qui ont enregistré un large succès auprès des clients, à savoir la Tipo, une berline spacieuse dotée d’un volume de chargement important et commercialisée à plus de 26 000 unités, et Doblo, un utilitaire léger, pratique et polyvalent qui arrive en tête des ventes du constructeur avec 28 000 ventes. Quand bien même leurs prix sont loin, eux aussi, des espérances des citoyens.
La fabrication comme alternative
Il est à souligner que la marque italienne s’est hissée au rang de leader national avec 83,2% de parts de marché et une couverture de 76% du territoire national, à travers un réseau de 50 agents agréés assurant localement l’ensemble des prestations d’une concession automobile, vente, après-vente et magasin de pièces de rechange. A cela s’ajoute le lancement depuis le 11 décembre 2023 de l’usine de Tafraoui qui assemble dans une première étape en SKD, la Fiat 500 Hybrid et le Doblo utilitaire. La seconde phase de son développement, qui est déjà à un stade avancé, permettra de produire en CKD d’autres modèles à partir de 2025. Pour l’année en cours, Stellantis et par la voix du responsable de la région Afrique Moyen-Orient, Samir Cherfan, annonce la production de 40 000 véhicules.
En plus de Fiat, Renault Algérie Production (une société dont l’État est actionnaire majoritaire) dispose déjà à Oued Tlélat près d’Oran, de structures industrielles et d’équipements fin prêts pour l’entrée rapidement en production. Son directeur général a tout récemment renouvelé la disponibilité immédiate de l’usine et de son personnel à entamer, dès que le feu vert des autorités leur sera accordé, la production d’une gamme variée de véhicules.
Selon quelques indiscrétions, il serait question, notamment, de Renault Clio 5, Taliant, Kangoo, et Dacia Sandero.
Il en est de même pour le constructeur chinois JAC dont l’usine domiciliée dans la wilaya de Aïn-Témouchent est achevée à plus de 70% et qu’il est en attente des autorisations nécessaires pour finaliser l’installation des équipements et débuter la fabrication.
Ces trois installations industrielles pourront, ainsi, contribuer grandement à la satisfaction des besoins croissants du marché et réduire sensiblement les tensions sur les disponibilités, en attendant l’arrivée de nouveaux constructeurs.
Des concessionnaires défaillants
Par ailleurs, le programme 2023 a laissé transparaître, hélas, plusieurs couacs dans les opérations de commercialisation, notamment au niveau de la prise des commandes et des délais de livraison. Certains concessionnaires ont été peu enclins à respecter les conditions prévues à cet effet par la réglementation en vigueur.
Et face à la multiplication des plaintes des citoyens, le ministère de l’Industrie a mis en garde les concessionnaires contre ces dépassements en leur rappelant «l’obligation de se conformer au cahier des charges et ses articles 18 et 19 fixant les conditions et les modalités de livraison des véhicules neufs».
Des milliers de citoyens sont toujours et depuis plusieurs mois en attente de la satisfaction de leurs commandes. L’ensemble des concessionnaires en activité sont concernés par cet état de fait. Il reste à espérer que les uns et les autres retiendront les leçons de cette première expérience, et que le prochain programme d’importation puisse corriger les dépassements enregistrés et apporter, surtout, une réponse idoine aux besoins du marché. Que les show-rooms des opérateurs actuels et futurs puissent aussi présenter des modèles accessibles et adaptés aux attentes réelles des clients.
B. Bellil Le Soir d’Algérie