lundi 25 novembre 2024
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Renault Trucks Algérie : l’appel de Stéphane Harmand pour la relance du marché du camion

Dans cette interview accordée au quotidien Le Soir d’Algérie, le directeur général de Renault Trucks Algérie, Stéphane Harmand, revient sur le marché du camion en Algérie, le service après-vente qui, selon lui, constitue un vecteur de survie, l’arrêt de l’activité camion et véhicules utilitaires en Algérie, la relance de l’usine de Meftah et l’avenir du véhicule électrique dans le pays.

Dans un contexte peu favorable, avec l’arrêt complet de toutes les importations de véhicules, Renault Trucks Algérie maintient toujours une dynamique de déploiement dans le domaine du service après-vente. Quelle sens donneriez-vous à cette persévérance ?
Cela se justifie par le concours de plusieurs facteurs aussi déterminants les uns que les autres. En fait, on a été aidés par les évènements qui se sont succédé sur la scène automobile nationale, en ce sens, dès que nous avons dû arrêter, en novembre 2020, l’activité d’assemblage et vente de véhicules, nous nous sommes focalisés encore plus sur le service après-vente.
Il fallait, d’abord, maintenir le lien avec les clients fidèles dont les véhicules étaient encore couverts par la garantie et tout entreprendre pour les conserver au-delà de cette période et éviter qu’ils ne migrent vers le réseau parallèle.
Ensuite, il fallait reconstruire les ponts avec les anciens clients, dont les camions n’étaient plus concernés par la garantie et les convaincre de la nécessité d’assurer l’entretien et la réparation de leurs véhicules par les structures de Renault Trucks Algérie. Nous avons lancé à leur adresse des offres de service compétitives.
Face à cette nouvelle situation, nous étions amenés à élaborer des contrats de maintenance spécifiques au marché algérien et qui sont le prolongement du contrat «Start&Drive » qui était proposé gratuitement au moment de l’acquisition d’un camion neuf dans le cadre de la série limitée du même nom. Il nous fallait, donc, relancer les clients et les persuader de la pertinence du renouvellement de cette offre.
Et je peux vous affirmer qu’on est en renouvellement systématique des contrats avec la grande majorité de nos clients qui étaient déjà séduits par les avantages de cette série limitée.
Et on a même étendu cette initiative à des clients qui n’ont jamais souscrit à ce type de contrat et qui avaient tendance à faire entretenir leurs véhicules d’une manière aléatoire par différents ateliers.
Nous avons, ainsi, mis en place l’offre «Check & Drive», qui permettait à ces clients de faire auditer gratuitement leurs véhicules et d’opter, ou non, pour la signature d’un contrat de maintenance. Cette opération nous a permis de récupérer des véhicules qui ont été vendus il y a plus de 10 ans et qui n’étaient pas pris en charge par le réseau de Renault Trucks en Algérie.
A cela, on peut ajouter aussi l’ensemble des clients du secteur public qui sont fidèles et dont on doit satisfaire les besoins en service après-vente. Pour résumer, je soulignerai, que le vieillissement du parc, la prise de conscience des clients sur l’importance d’assurer l’entretien de leur véhicule par des professionnels agréés, l’immensité du parc roulant de Renault Trucks, la cherté de la pièce de rechange, les offres de service et la disponibilité de la pièce d’origine sont autant d’arguments mis en avant pour préserver notre clientèle et, au-delà, maintenir et développer l’activité service après-vente chez Renault Trucks Algérie.

Cela impliquerait une réorganisation en interne des équipes de Renault Trucks Algérie et leur redéploiement sur les nouvelles missions de la filiale…
Absolument, toutes les équipes qui étaient en charge de l’activité vente de véhicules neufs ont été redéployées sur le service après-vente et la pièce de rechange. Je dois rappeler que nous avons, en cinq ans, perdu la moitié de notre parc roulant, de 22 000, on est passé à 10 000. Et ce sont autant de camions à entretenir et à en assurer la disponibilité des pièces de rechange d’origine nécessaires à leur pérennisation.
D’autant qu’au fil des années et au rythme de leurs utilisations, ces véhicules sont de plus en plus exposés aux pannes et autres incidents techniques et que ce secteur subit, lui aussi, les retombées négatives de la crise de Covid-19, des semi-conducteurs, de l’inflation et de la concurrence déloyale des pièces importées illégalement à travers les réseaux secondaires.
Heureusement que ce phénomène a été stoppé grâce aux restrictions sur les importations, ce qui amène les clients à se rabattre sur les fournisseurs officiels de pièces.

Est-ce à dire qu’auparavant, le service après-vente était le parent pauvre chez Renault Trucks, sachant que celui-ci reste l’activité qui permet de pérenniser une marque dans un marché donné ?

L’image de marque de Renault Trucks en Algérie a, de tout temps, reposé sur un équilibre entre la vente de véhicules et l’après-vente, et ce, au niveau de l’ensemble du réseau. Mais il est clair que cet équilibre était fragile, du fait qu’il était, d’une part, porté seulement par quelques-uns, et que, d’autre part, souvent l’intérêt et l’attention du patron d’affaires s’orientaient surtout vers la vente. L’après-vente était plutôt la préoccupation du constructeur qui veillait en permanence à la dotation du réseau en équipements appropriés et en personnels qualifiés en mesure de répondre aux attentes des clients.
Et je me dois de préciser que depuis les changements de réglementations introduits dans le secteur automobile en Algérie à partir de 2015, on a constaté une prise de conscience de la part des constructeurs quant à l’importance du service après-vente comme vecteur de fidélisation de la clientèle et aussi comme source de revenu non négligeable qui pourrait assurer la survie.
Aujourd’hui, Renault Trucks Algérie dispose d’un service après-vente qui est à la hauteur des attentes des clients et qui nous permet de nous démarquer distinctement du reste de la concurrence.

Que pensez-vous de la situation de blocage actuelle de l’activité camion et véhicules utilitaires en Algérie ?
Je reste persuadé et je n’ai cessé de le réitérer, que l’activité camions et véhicules utilitaires ne devrait pas être bloquée. Les volumes sont faibles par rapport à la voiture particulière, les incidences sur les réserves de change sont faibles, alors que l’impact sur l’économie est considérable. Et, du reste, nous ne vendons nos véhicules qu’à des entreprises algériennes qui contribuent à l’effort de développement économique du pays. L’Algérie, qui est une puissance continentale jouissant d’un positionnement stratégique par rapport à l’Europe notamment, ne devrait pas tourner le dos à ce facteur-clé de la croissance, en l’occurrence le camion. Le marché gagnerait à s’ouvrir aux divers constructeurs dans ce domaine, car les besoins sont énormes et la demande exceptionnellement forte.
J’en appelle aux autorités compétentes pour relancer et aider le marché du camion en Algérie. Il y va clairement de la dynamisation de l’activité économique, du renouvellement d’un parc vieillissant et surtout de la sécurité des usagers de la route.

Justement, la sécurité routière occupe une place de choix dans la stratégie de développement de Renault Trucks. Qu’en est-il de votre présence en Algérie ?
Effectivement, la sécurité est un élément extrêmement important dans notre démarche. Depuis l’intégration de Renault Trucks au groupe Volvo, nous avons hérité de deux missions stratégiques pour le constructeur suédois, à savoir l’écologie et la sécurité. La sécurité fait partie de l’ADN de Volvo qui, rappelons-le, a inventé la ceinture de sécurité et intégré ce volet dans les programmes de recherche de ses centres de développement. Aujourd’hui, les préoccupations de sécurité ne se limitent plus aux seuls passagers et de l’habitacle, mais s’étendent bien au-delà, vers le comportement du camion et de son interaction avec l’environnement dans lequel il évolue, le piéton, le vélo, la moto, la voiture, etc.
C’est vous dire que la sécurité nous accompagne au quotidien dans notre activité de vente et de service après-vente, à travers des campagnes récurrentes de sensibilisation du conducteur sur les dangers de la route et les bonnes attitudes et comportements à adopter quand on s’engage sur la voie publique. Parmi les éléments liés à ce volet, la surcharge et ses conséquences sur la bonne maîtrise du camion et les dégâts occasionnés à l’état des routes.

Où en sont vos contacts avec les pouvoirs publics dans la perspective d’une reprise des activités de votre usine ? Y a-t-il un retour dans ce sens ?
Non, aucun retour. Pour notre part, nous sommes prêts à reprendre rapidement nos activités d’assemblage. L’usine a déjà fait ses preuves pour avoir produit et commercialisé plus de 2 000 véhicules qui circulent toujours et dont les clients sont entièrement satisfaits. Je soulignerai aussi que ces véhicules produits entre 2019 et 2020 intégraient déjà des composants fabriqués en Algérie, notamment les barres anti-encastrement, qui sont des pièces importantes, en aluminium et spécifiques à la marque, réalisées par un excellent sous-traitant algérien.
Ainsi, nous avons prouvé que l’usine peut fonctionner selon les normes de qualité et les exigences du groupe Volvo et que nous avons identifié et sélectionné un certain nombre de sous-traitants.
Nous avons gardé nos équipes qui sont régulièrement formées et dont des membres ont été chargés d’une mission de formation chez d’autres opérateurs du groupe, notamment en Australie et en Arabie saoudite.
C’est vous dire notre disponibilité, dès le feu vert des autorités, à reprendre rapidement l’activité de production avec un volume annuel de 2000 à 2500 véhicules en une seule équipe, avec la possibilité de doubler ces capacités en cas de besoin.

Vous comptez introduire, en 2024, un quota de 5 à 10 camions électriques pour effectuer les premiers essais en Algérie. Peut-on en savoir un peu plus sur cette démarche ?
Renault Trucks a été le premier constructeur de poids lourds à développer et commercialiser des véhicules électriques. Cela remonte à une dizaine d’années. Ces initiatives premières ont permis à Renault Trucks d’être à la pointe du développement de véhicules électriques et qui sont produits comme n’importe quel véhicule thermique dans nos usines de France. Et nous commercialisons depuis quelques années des petits camions électriques, mais, depuis quelques mois maintenant, on offre la possibilité à nos clients de se fournir auprès de Renault Trucks des poids lourds de 18 à 44 tonnes.
Nous sommes également dans le Full-électrique sur le Master et le Trafic. C’est également dommage que nous ne puissions pas importer les voitures que nous codéveloppons avec Renault. Nous avons également développé avec une start-up, qui s’appelle Cluster, qui offre des vélos électriques, avec des petits chargements pour la distribution urbaine, c’est-à-dire pour le last-mile. C’est vous dire que Renault Trucks couvre totalement la chaîne de l’électrique, du vélo jusqu’au 44 tonnes.
Bien évidemment, la priorité est de donner aux pays qui ont lancé des programmes électriques de manière très aboutie. En Algérie, c’est en balbutiement. On voit quelques initiatives. D’abord dans la loi et dans la construction d’un réseau électrique. Renault Trucks Algérie est à la disposition des opérateurs de transport.
Pour le moment, il y a un opérateur en Algérie, et il n’est pas le seul, qui voudrait être le premier sur le poids lourd électrique en Algérie. Donc, nous avons un projet qui sera lancé probablement en 2024. En revanche, ce que je vois en Algérie, c’est la courte distance et le véhicule qui revient, tous les soirs, à son point de stockage. Je citerai, entre autres, les camions de collecte des ordures, des camions citernes notamment pour des raisons de sécurité, et bien d’autres axes.
Le réseau électrique n’est pas encore développé en Algérie. Et l’opérateur qui voudrait s’investir dans l’électrique devra penser à ce que ses véhicules rentrent le soir pour être rechargés. Il y a aussi le bus, notamment pour le transport scolaire. Notre groupe est le deuxième fabricant mondial de bus.

Etes-vous prêts à accompagner cet opérateur, sachant qu’il y a un début à tout, y compris dans l’électrique ?
Evidemment que nous sommes prêts à l’accompagner et on bénéficiera de nos collègues européens et s’il s’agit de former le réseau, on le fera. C’est un tout autre métier, car il y a des pièces d’usure qu’il faudra constamment changer et une partie électrique. J’ai été à l’usine de Blainville, à côté de Caen, ancienne usine Saviem pour ceux qui se souviennent encore, j’ai vu des anciens collègues qui fabriquaient des véhicules thermiques qui se sont mis à fabriquer des véhicules électriques. Ça reste un véhicule ! Même si la technologie est différente, on ne sort pas du système.

Quel est le pourcentage de pièces en moins sur un camion électrique par rapport au camion thermique ?
Il y a trois parties qui sont communes, à savoir le châssis, la cabine, les roues et la boîte de vitesse, même s’il n’y a pas un moteur au sens propre du terme. Par contre, le moteur est totalement différent. Il a la grosseur d’un moteur, mais n’a rien à voir avec un moteur, car, au fait, il y a beaucoup de calculateurs, des optimisateurs de gestion d’énergie et une grande partie de refroidissement, avec un circuit dédié.
Le radiateur est plus gros et quand le véhicule est à l’arrêt, le moteur électrique chauffe plus que le moteur thermique. Il y a tout le système de câblage qui a changé, car le moteur est au niveau des roues et les batteries qui sont sur le côté avec également un système de protection des batteries et un châssis renforcé en cas d’encastrement d’un autre véhicule.


Propos recueillis par Belkacem Bellil Le Soir d’Algérie