Le procès du frère et ancien conseiller de l’ex-Président, Saïd Bouteflika, s’est poursuivi, avant-hier jeudi, au tribunal de Sidi M’hamed avec l’audition de l’ancien homme d’affaire, patron du groupe TMC, Mahieddine Tahkout, à partir de la prison de Babar (Khenchela) où il est détenu.
Karim Aimeur – Alger (Le Soir d’Algérie) – Après le coup de théâtre de Saïd Bouteflika, qui a refusé de répondre aux questions du juge en expliquant que le procès est illégal, le coup de gueule de Mahieddine Tahkout qui demande au juge de mettre un terme à la hogra dont il fait l’objet !
Le deuxième jour du procès qui implique 71 accusés, en raison de la jonction de plusieurs dossiers dans la même affaire, a été consacré à la longue audition de Tahkout qui a rejeté toutes les accusations à son encontre, dont trafic d’influence et blanchiment d’argent.
La première question du juge était de savoir qu’il était la relation entre l’accusé et Saïd Bouteflika lorsqu’il était conseiller à la présidence de la République.
« J’ai des questions à vous poser », dit Tahkout.
« C’est moi qui vous interroge », corrige le juge.
L’accusé réplique en avertissant que « je vais faire des déclarations dangereuses ».
Le président de la séance revient à la charge et l’interroge sur sa relation avec Saïd Bouteflika.
« Je n’ai aucune relation avec lui », a-t-il répondu.
Comment justifier alors les 82 appels téléphoniques et un SMS échangés avec lui ?
L’accusé indique qu’il s’agit du numéro du standard de l’entreprise utilisé par le permanencier.
Le juge s’étonne qu’un permanencier échange autant d’appel avec Saïd Bouteflika avant de faire savoir que lors de la perquisition au domicile du frère de l’ex-Président, le nom de Tahkout a été trouvé dans une liste de personnes censées financer la campagne électorale pour le cinquième mandat.
« Je n’ai pas entendu parler de cette liste », prétend l’accusé avant que le juge ne lui précise qu’un chèque d’une de ses entreprises a été récupéré lors de la perquisition.
Le juge l’interroge par la suite sur sa relation avec Hicham Aboud et la chaîne Amel TV et s’il avait reçu des instructions de la part de Said Bouteflika afin de financer cette chaîne.
L’accusé répond par la négative et soutient qu’il n’a aucun lien avec cette question.
Interrogé sur un contrat d’importation d’équipements médicaux à partir de la Suisse, l’ancien patron de TMC a expliqué que le matériel était destiné à un projet d’investissement à Tissemsilt, niant toute surfacturation dans le contrat.
Le président de la séance souligne que la marchandise a été achetée pour 3 850 000 euros alors que l’expertise avait conclu que le prix réel était de 2 350 000 euros. Il a cité un autre contrat d’achat de 10 millions d’euros dont la facture est gonflée.
Mahieddine Tahkout est interrogé ensuite à propos de Basta Fayrouz, sa fille d’une mère française, et la provenance de l’argent trouvé dans ses comptes.
Il dit ne pas être au courant de ces comptes et n’avoir aucun rapport avec le sujet.
Comme il a affirmé qu’il n’avait aucune relation avec l’ancien PDG de la BNA, Aboud Achour, malgré les crédits bancaires accordés par la banque à ses sociétés.
Tahkout a également soutenu que les marchés obtenus dans le secteur des œuvres universitaires sont légaux et qu’il n’avait bénéficié d’aucun avantage.
Le juge l’interroge également à propos de trois sociétés qu’il détient à Nîmes en France, et la provenance de l’argent avec lequel il les avait lancées.
Il a rappelé qu’il a déjà été jugé sur cette affaire, précisant qu’il était résident en France. Il a aussi indiqué qu’il a vendu ces trois sociétés et que parmi les acheteurs, figurait l’homme d’affaires Djilali Mehri.
Concernant l’avion qu’il utilisait, l’accusé a expliqué qu’il était loué auprès d’un aviateur américain, ajoutant qu’il s’agit d’un outil de travail comme cela se fait à travers tous les pays du monde.
Le procureur de la République relance l’accusé sur l’affaire de cet avion en soulignant que la réponse à une commission rogatoire internationale affirmait que l’avion appartenait à Tahkout et qu’il ne s’agissait pas d’une location.
L’accusé insiste et affirme que le contrat de location était signé par TMC Tahkout. La défense de l’ancien homme d’affaire intervient dans les débats et affirme qu’elle n’a jamais vu cette réponse à la commission rogatoire. Le procureur de la République lui fait savoir qu’elle peut récupérer le document.
« Nous avons demandé ce document mais nous n’avons trouvé aucune trace. Nous défions quiconque de le présenter s’il existe », lance un avocat de la défense qui a contrarié le procureur.
L’affaire de la récupération récente des véhicules de luxe par les services de sécurité n’a pas été occultée.
Tahkout a dénoncé cette opération en soulignant que ces 119 véhicules ne faisaient pas l’objet d’une saisie de la justice.
« Ces voitures m’appartiennent et je les ai importées légalement avec mon argent. Ceux qui ont été arrêtés n’ont rien à voir avec cette affaire. Ils n’ont rien caché. C’est moi qui ai inscrit mon frère Brahim et les membres de ma famille de les récupérer après avoir su que l’administrateur n’est pas responsable de ces voitures », a-t-il lancé.
« Comment avez-vous donné des instructions alors que vous étiez en prison ? », demande le juge.
« C’est à travers mes avocats », répond l’accusé, avant de crier, en haussant la voix et en gesticulant de ses mains : «pourquoi cette hogra ? Depuis trois mois, je n’ai pas mangé. Pourquoi vous mettez toute ma famille en prison ? Pourquoi cette hogra ? Je suis d’une famille révolutionnaire, je n’ai pas trahi mon pays… ».
Et de poursuivre : « Je suis même poursuivi pour terrorisme ».
Le juge l’informe qu’il a bénéficié d’un non-lieu pour cette accusation.
Le procureur revient à la charge à propos de ces voitures de luxe. « Vous avez instruit Tahkout Brahim pour cacher les voitures. En qualité de quoi vous avez donné des instructions à partir de la prison », interroge-t-il.
Tahkout réitère qu’il n’avait pas demandé à cacher ces voitures et que les membres de sa famille n’ont rien à voir avec l’affaire.
« Mon avocat m’a dit que l’administrateur n’est pas responsable de ces voitures », a-t-il insisté, avant d’accuser des administrateurs désignés à la tête de son groupe de l’avoir bradé, en subtilisant les véhicules et en transférant l’argent à l’étranger.
« Cet argent appartient au groupe et non pas à moi. Ils ont tout pris. Je suis là pour aider la justice », a-t-il fulminé.
Mais le tribunal ne veut pas le lâcher sur cette histoire de voitures de luxe.
Tahkout est interrogé sur comment étaient importées toutes ces voitures de luxe. Sa réponse a laissé perplexe l’assistance. « Elles ont été commandées au nom des travailleurs », a-t-il dit.
Une réponse qui a inspiré un commentaire à un des avocats de la partie civile : « comment un travailleur qui touche un salaire de 60 000 DA peut-il commander une voiture qui coûte 2 milliards de centimes ? ».
A suivre